Le degré zéro de la littérature et du cinéma

Virginie-Despentes

Roland Barthes théorisa jadis le « degré zéro de l’écriture » — un concept bien utile pour caractériser l’écart de toute énonciation par rapport à ce plancher théorique. C’était une image, car aucun énoncé n’est à proprement parler de degré zéro : l’intention rhétorique — et il y a de la rhétorique dans une recette de cuisine, un prospectus pharmaceutique ou même l’œuvre de Philippe Meirieu — est partout sensible, plus ou moins. C’était presque un jeu, à l’époque, entre étudiants, que d’essayer de produire un énoncé absolument neutre — ou mieux : nul.
Mais il en est de la littérature comme de l’arithmétique. Une fois que vous avez rétrogradé jusqu’au zéro s’ouvre à vous le champ infini des nombres négatifs.

Nous avions déjà Christine Angot, Marc Levy, Eric-Emmanuel Schmidt, Edouard Louis et autres créatures encensées en notre époque orwellienne d’inversion des valeurs. « L’ignorance, c’est la force », disait Big Brother. « Le cinéma c’est nous », clament Adèle Haenel et Céline Sciamma, immédiatement soutenues par tout ce que la profession rassemble de nullités grandes gueules et de néo-convertis soumis à la nouvelle dictature des laissés-pour-compte par manque de talent. On saluera particulièrement Florence Foresti, l’« écœurée » de service qui devrait prendre des cours d’animation outre-Atlantique et se demander pourquoi un homme persécuté parce que juif en Pologne dans les années 40 n’a pas beaucoup grandi (mais quelle immonde créature !), Aïssa Maïga, celle qui compte les Noirs sur ses doigts et croit que Vincent Cassel est métis, et Jean-Pierre Daroussin, qui a tout d’un héros houellebecquien — dans le genre collabo incapable de dire « Polanski ».
À donner raison à Jean Dujardin qui s’est exclamé, à voir le traitement indigne reçu par un film remarquable qu’il porte remarquablement bien : « Je me casse, ça pue dans ce pays ».
L’ami David Desgouilles a bien résumé ce grand moment de vide télévisuel — car la télé s’exerce elle aussi au degré zéro, et elle y réussit particulièrement bien.

Des raisons d’espérer ? Fanny Ardant, impeccable comme toujours (elle ne me lira pas, mais je tiens à lui dire combien je l’avais trouvée sublime en Elvire dans le Dom Juan mis en scène par Francis Huster en 1987), a soutenu Polanski parce que c’est un ami, et que l’on pardonne tout à ses amis — surtout quand celle à qui il a fait quelque chose lui a pardonné aussi.
Des raisons de désespérer ? Un ministre de la Culture (comment s’appelle-t-il déjà ? André Malraux — ah non, ça, c’était avant) qui ne connaît rien à la culture ni au cinéma et voudrait récompenser les uns et les autres en fonction de leur moralité et de leur adhésion à une morale « en marche ». Mais que restera-t-il de Franck Riester, quand Polanski sera toujours célébré comme l’un des grands réalisateurs du XXe siècle — et metteurs en scène de théâtre, j’ai un souvenir très vif de l’Amadeus qu’il avait mis en scène et joué en 1982 au théâtre Marigny).

Et puis est arrivé le degré zéro du degré zéro, Virginie Despentes, qui dans un long crachat — mais elle n’a jamais su écrire autre chose que glaires et mollards agglomérés — publié dans Libé s’écrie : « On est humilié par procuration quand on les regarde se taire alors qu’ils savent que si Portrait de la jeune fille en feu ne reçoit aucun des grands prix de la fin, c’est uniquement parce qu’Adèle Haenel a parlé et qu’il s’agit de bien faire comprendre aux victimes qui pourraient avoir envie de raconter leur histoire qu’elles feraient bien de réfléchir avant de rompre la loi du silence. Humilié par procuration que vous ayez osé convoquer deux réalisatrices qui n’ont jamais reçu et ne recevront probablement jamais le prix de la meilleure réalisation pour remettre le prix à Roman fucking Polanski. »
Pauvre cloche ! Degré zéro moins-moins de la littérature ! Pornographe de très bas étage ! S le Portrait de la jeune fille en feu n’a rien obtenu de probant, sinon le César de la meilleure photographie, lot de consolation que l’on attribue à une œuvre qui n’avait aucune autre qualité, ce n’est pas parce que la profession est faite d’hommes, mais parce que ce film est nul, et joué par une actrice nulle qui a oublié d’apprendre à articuler. Etre lesbienne n’est pas un gage de qualité, ni pour une actrice ni pour une réalisatrice. Ni pour une écri[très]vaine du genre Despentes. N’est pas Nathalie Clifford Barney ou Colette qui veut.
Parce que contrairement à ce que dit Despentes, qui manque tout à la fois de style et de culture, des lesbiennes au pouvoir, à l’époque des Barney, Liane de Pougy, Winnaretta Singer, princesse de Polignac, Elisabeth de Grammont, Romaine Brooks, Renée Vivien (« Sapho 1900, Sapho 100% »), Gertrude Stein, Vita Sackville-West ou Virginia Woolf, il y en a eu et en grand nombre. Mais elles avaient du talent, elles. Et de la classe. Et je les salue bien bas.

Cela m’a tellement mis en colère que je suis allé, coup sur coup, voir deux films réalisés par des hommes, et mettant en scène, pour l’essentiel, des hommes — Dark Waters et le Cas Richard Jewell. Deux grands films politiques, deux purs chefs d’œuvre, qui vous réconcilieront avec le cinéma — tout comme J’accuse vous avait fait croire qu’il existait encore un septième art de haut niveau en France. Non que je récuse les films faits par des femmes — j’ai une grande admiration pour Kathryn Bigelow, par exemple. Mais gâcher des budgets — bon, c’est en grande de l’argent public, on ne sait pas trop comment financer des navets autrement, chez nous — pour assister à des problèmes de nombril, merci, je laisse ça au cinéma français.

Jean-Paul Brighelli
Publié le 2 mars 2020 par Jean Paul Brighelli

PS. Je n’ai pas vu le film de Nicolas Bedos, et je ne peux rien en dire ; Mais je suis très content du César de la Meilleure actrice à Anaïs Demoustier, impeccable dans Alice et le mairechroniqué ici-même.